J’ai un peu l’impression de me répéter, mais à chaque début de saison, j’appréhende de repartir comme skipper : l’usure du temps sur mes vieux os, le poids de l’actualité anxiogène du monde… Et suis-je encore à la hauteur, surtout lorsque l’agenda en ligne reste étonnamment et désespérément vide sur ce week-end prolongé ? Je commençais à me faire une raison mais à huit jours du départ, un inconnu sollicite son inscription sur le site. Premier contact par téléphone, puis rencontre en tête à tête. Didier, quasiment novice, amateur de course à pied, souhaite se mettre à la voile… On ne se connaît pas mais le courant passe. Entre temps, j’ai réussi à « embarquer » Bernard, en qualité de second, mais il n’est disponible que les deux premiers jours. Je choisis d’arriver la veille avec tout l’avitaillement, pour reprendre le pied marin sur Kervegon.

Et ce jeudi 1er mai, sous le soleil, j’accueille mon équipage de bon matin. Les deux équipiers ont fait connaissance durant le temps de co-voiturage. Kervegon, c’est une première pour Didier. Rapide « tour du propriétaire » et choix des bannettes. Le briefing sécurité se réalise « en faisant », en préparant le départ. Pas de grand laïus, je préfère répondre aux questions de Didier. Bernard, lui-même habilité skipper Kervegon, apporte sa pierre à l’édifice, souvent avec humour. 9h15, nous larguons les amarres, sortons du port et hissons les voiles. C’est notamment Bernard qui explique les manœuvres avec pédagogie, il a été moniteur de voile. Il fait beau, la mer est calme. Petit vent de sud-est, donc venant de l’arrière. Je prépare le café, je sors des madeleines bretonnes et une tablette de chocolat aux noisettes. C’est vivement apprécié !

Didier prend la barre et s’adapte assez rapidement aux sensations, ce qui n’est pourtant pas si facile sous cette allure. Nous déjeunons en naviguant (pique-nique pratique). Nous alternons les allures de grand largue et de vent arrière (voile en ciseaux), jusqu’à l’arrivée dans l’après-midi à La Turballe, où nous accostons dans le nouveau bassin. Chacun son rythme, Didier choisit une sieste réparatrice avant de nous retrouver en ville, pour un premier débriefing au bar des pêcheurs. L’esprit d’équipe est en construction.

La petite averse tombée durant ce moment est passée. Le ciel qui s’était couvert s’éclaircit à nouveau. Retour au bateau pour l’incontournable (petit) apéro dans le cockpit. Le dîner est pris dans le carré, puis la vaisselle est faite sur le ponton (le local approprié est en travaux), chacun s’installe pour la fin de soirée (lecture à la frontale) et prépare son couchage. Didier disparaît dans la couchette avant… Le vent est complètement tombé. La nuit est exceptionnellement calme, pas d’éclat de voix des voisins, pas de drisse qui claque, pas de clapot, pas de balancement, comme à la maison ! Vendredi 2 mai. Beau temps avec petit vent d’est-sud-est.

Bernard ayant finalement pu se libérer pour les quatre jours, nous mettons le cap sur les îles. Après un pique-nique en mer, nous arrivons sous le soleil dans l’anse de Tréarch Ar Beniguet, au nord-ouest de Houat. Il y a déjà beaucoup de monde mais nous mouillons près de la plage. Les matelots gonflent l’annexe. Bernard enfile sa combinaison, et muni d’un masque et d’un tuba, il nous rapporte une belle araignée.

Didier qui ne veut pas être en reste se baigne rapidement, l’eau doit être à 16 degrés. Les gars vont à terre avec l’annexe. Didier part faire le tour de l’île en courant, en mode trail. Je reste à bord et j’en profite pour préparer la nav du lendemain. Bernard revient seul avec l’annexe, en s’étant fait tremper par le ressac… Didier doit faire du bateau stop auprès de l’équipage belge d’un grand voilier pour rejoindre le Kervegon. Il rapporte une bouteille de vin blanc et de la mayonnaise pour accompagner l’araignée.

Apéro fruit de mer, repas dans le carré, vaisselle dans le cockpit avec prélavage à l’eau de mer. Extinction des feux de relative bonne heure. Nuit calme avec petits balancements et bruit des vagues sur la plage.
Samedi 3 mai. Le matin, pas de descente à terre. Nous utilisons les WC du bord. C’est une bonne expérimentation de la promiscuité sur un petit voilier…

Toujours du soleil et du vent de secteur sud-sud-est. Cap sur Belle-Île-en mer, la bien nommée. Bernard fait découvrir le spi à Didier. Nous allons prendre un mouillage forain dans la magnifique petite anse de la pointe des Poulains. Cette fois, pas de baignade. Un long coup de corne de brume annonce l’arrivée d’un canot de la SNSM et nous assistons à une cérémonie de dispersion de cendres. C’est émouvant, surtout que nous avons alors une pensée pour notre ami Alain Rouault.

Nous levons l’ancre et alternons voile et moteur pour rejoindre le Palais dans l’après-midi. Nous accostons dans l’avant port. La fille (marin placier) qui nous accueille prend soin de ne pas mettre de bateaux à couple, car nous attendons une bascule du vent au nord-est dans la nuit. Ici, cela est synonyme de fort clapot, de grincement sur les pare-battages, voire de barres de flèches qui se heurtent…
Le bateau bien amarré, la grand-voile rangée dans son lazy-bag, chacun profite d’un temps de liberté individuelle. Je passe à la capitainerie, puis je fais quelques courses complémentaires (pain et bouteilles d’eau). Vers 19h, c’est le rituel de l’apéro cockpit, du repas pris dans le carré, avec un succulent rougail saucisses de la ferme de la Ranjonnière… Vaisselle aux sanitaires et balade tous ensemble sur les quais. La soirée se prolonge au fameux bar de la Godaille. L’ambiance monte peu à peu. Nous nous lâchons et refaisons le monde. Cela contribue à souder l’équipage. On n’en dira pas plus…

Petit pincement au cœur du cap’taine, le bar s’est rempli, et un simple coup d’œil me permet de constater que je suis probablement le doyen de l’assistance ! Ainsi va la vie. Retour au bateau. Calme plat, nuit tranquille. Dimanche 4 mai : Le vent de nordet ne se fait sentir qu’à partir de 6h du matin et de façon très progressive. Ciel couvert, la pluie menace. Nous larguons les amarres vers 9h et sortons du port. Ça brasse fort. Vent dans le pif (on le savait).

Un ris puis bientôt un deuxième. Nous passons la journée à tirer des bords et passons par le chenal de la Teignouse. Didier se colle à la barre et n’en bouge plus. Il veut apprendre, mais c’est aussi un bon moyen de conjurer l’inquiétude et le mal de mer. Pour ma part, j’alterne le cockpit pour les virements et le carré pour la navigation, et accessoirement j’essuie les fuites d’huile hydraulique du vérin (la voile, ça reste un sport mécanique).

Le vent mollit légèrement et nous arrivons sous le soleil vers 17h au Crouesty. Après cette belle navigation sportive, il nous faut deux heures pour procéder au rangement, au nettoyage, au pointage de la fiche relais, etc… Cela fait partie de l’activité. Un temps pour faire les comptes et le nécessaire bilan au bistrot le Marina, devenu le Bouillon Breton. Puis retour sur Bouguenais au son de chants de marins dans la Logan de Christine, venue gentiment nous chercher. Merci à elle.

Le bilan est très positif : l’équipage qui ne se connaissait pas a trouvé sa cohésion. Didier, qui sans le dire, se demandait où il mettait les pieds, s’est finalement « éclaté ». C’est un compétiteur qui a soif d’apprendre. Bernard a développé avec lui une grande complicité grâce à son sens de l’humour et à son partage de compétences nautiques. Pour ma part, cette croisière m’a redonné la patate et l’envie de naviguer davantage. Seul point de divergence, mais qui nous a bien fait rire : le dosage du café !




Alain Louche, le 11 mai 2025